Après une escale curry wurst à Francfort, nous sortons prendre l’air dans la nuit chaude et étouffante des Caraïbes, République Dominicaine. Ca y est, il fait chaud. Déjà s’éloignent de nous les froideurs hivernales françaises. Quelques heures plus tard et une ecale plus loin, nous débarquons à San José.


Nous regardons à peine les bâtiments à la recherche de notre station de bus mais de toutes façons ce n’est pas une ville qui charmerait quiconque par son architecture. Alors que nous errons dans la ville selon de vagues directions, nous croisons une femme costaricaine, cheveux ramassés en queue de cheval, stricte et visage fermé. Un peu plus loin, alors que nous nous attardons à prendre une photo d’une locomotive à vapeur posée dans le jardin d’un bâtiment, elle s’approche de moi. Sans un sourire, elle me demande néanmoins où nous allons. Je lui répond et elle m’indique la direction et me décris l’endroit. Je la remercie et elle reprend son trajet. Pas souriante mais d’une gentillesse un peu rude peut-être. Serait-ce l’hospitalité à la costaricaine ? 



Quelques heures plus tard, nous voilà débarqués à San Isidro Del General dans le centre du pays.

L’air m’y paraît plus léger ici, serait-ce la province ou le visage plus détendu des gens ou parce que nous traversons un parc urbain où les gens sont posés à l’ombre à l’abri de la chaleur écrasante ? Je ne sais pas mais on s’y sent bien. Un homme nous aborde pour savoir ce que nous cherchons. Quelques heures ici et déjà on nous aborde pour nous aider. « Il n’y a pas beaucoup de touristes ici » nous informe-t-il avec un sourire. Grâce à lui, nous savons où est la banque, un endroit où manger et la station de bus pour notre prochain bus. Nous sommes en route pour la ferme de Allan & Nurieth, la finca Cielo Verde à l’entrée du parc du Chirripo.


Pollo frito. Bus. Los Angeles. Ici on retrouve toutes les principales villes des US et de l’Argentine, l’empreinte est visible sur les cartes.

Nous descendons ainsi qu’un couple de ticos. Nous sommes au bord de la route, presqu’un chemin déjà. En face, il y a une petite tienda qui vend de l’eau, des sodas et des chips. Bref, l’essentiel à la campagne donc. Il se trouve que l’homme du couple c’est Jorge, le frère de Nurieth, et la femme Luzmarie, sa compagne. Et la jeune fille qui attend devant la tienda avec son backpack, c’est Esther, 18 ans, qui se balade en Amérique Centrale toute seule et volontaire également à la même ferme. Nurieth vient nous chercher et sa plus grande fille nous rejoint également, tout juste revenue de l’école. Nous nous entassons pèle mêle dans la voiture de Nurieth et nous partons sur les chemins de terre et de caillasse qui jalonnent la vallée et relient fermes et villages. 



A notre arrivée nous sommes accueillis par les chiens de la ferme - Pandito, Georgina, Toma, Willy, Fortuna - puis par les volontaires déjà présents qui en fin de journée sont tous réunis autour de la table à manger. Un peu plus tard, il fait noir, la nuit est déjà tombée à 5h du soir. Nous nous écroulons vers 20h30 dans notre lit.

Pas de décalage horaire pour nous. Les prochains jours, nous nous réveillons à 6h du matin et nous coucherons vers 20h30 maximum et nous sommes d'habitude ce qu'on appelle des couche tards.

 

Nous travaillons tous les deux dans les prés voisins de la ferme avec Jorge. Le premier jour alors que d’autres volontaires hommes étaient encore là pour leur dernier jour, j’essaie de me joindre à l’équipe qui sort de la ferme et dont Thomas fait partie parce que sur la ferme elle-même, on dirait qu’il n’y a pas grand-chose à faire à part arroser le potager, tâche qu’Ana a réalisé un peu plus tôt. Jorge et Nurieth me disent non tous les deux. Ce n’est pas pour les femmes. Pour ceux qui me connaissent un peu vous savez déjà que cette réflexion me fait bouillir. Thomas et moi voulons une ferme-auberge un jour. Son domaine sera l’auberge et moi ce sera la ferme. J’avais présenté le projet comme ça à un aubergiste qui m’a déjà dit « Tiens c’est marrant, d’habitude c’est l’inverse ». Les travaux de la ferme c’est pour les hommes dans l’imaginaire commun on dirait. Encore un domaine à conquérir pour la femme donc. Je passe la matinée un balai à la main à nettoyer l’allée de la ferme et ramasser ce qui traîne pendant que d’autres filles rangent et que les femmes préparent à manger. Je ne suis pas de bonne humeur.

 

Entre temps un de nos amis danois revient le visage en sang. Un caillou lui est tombé dessus d’en haut. Sa casquette l’a sauvé d’une plaie plus profonde. Au final ce n’est rien mais ca saignait bien, Jorge est revenu voir comment il allait et a pris des photos avec son portable.

 

Le lendemain, Tom m’aide et on insiste pour que je vienne. Je ne veux pas passer les 2 prochaines semaines cloîtrée à la ferme. Les autres volontaires masculins sont partis alors il ne reste que Tom et Jorge donc il m’accepte et nous partons.


Un rythme régulier s’installe alors que nous prenons nos marques et tentons de comprendre le fonctionnement de la "finca".

Les nuits sont bercées du son perçant des cochons accompagnés des aboiements des chiens entrecoupés du chant du coq à partir de 2h du matin. Réveil à 6h. Nous prenons un café puis Jorge, Tom et moi partons au "pasto"(paturage) chercher le ptit déj des chèvres, machette à la main et énormes bottes de pâturage au retour portées sur le dos, enfin la tête et les épaules pour moi vu la taille. Ensuite nous partons dans les prés où nous travaillons à construire un enclos pour les chèvres. Le terrain est en pente aigüe. Le soleil tape et les mosquitos de café s’en donnent à cœur joie. Je me fais dévorer les mains qui seront gonflées comme des moufles pendant presqu’un mois.



Nous faisons des huecos (trous) dans lesquels nous insérons des postres (troncs d’arbre) et ensuite nous y tassons de la terre avec l’arrancador (un nom un peu ronflant pour un bon bâton bien solide au bout rond). Au bout de quelques jours, nous avons fait le tour et nous installons le barbelé puis le grillage. Durant ce dur labeur qui se termine au pic du soleil, Jorge nous apprend ce qu’il sait des techniques que nous employons, il nous raconte ce qu’il aurait fait ici dans ces prés s’ils avaient été les siens et non ceux de sa soeur.

Il a l’idée naturelle d’une forêt d’arbres fruitiers. On est en plein dans l’agroforesterie. Lui n’y voit que du bon sens et de l’expérience bien sûr. Il a la tête sur les épaules et nous raconte ses divers jobs passés à prendre soin des bêtes ou des terres des autres.

Il aimerait bien avoir sa terre un jour c’est sûr mais pour ça il faut trouver de l’argent et des investisseurs.

Quand nous ne parlons pas des techniques ou du travail, Jorge nous apprend des expressions locales et des indispensables comme le crottin de cheval "tiercol" ou la bouse de vache "buñega". Tom se met à raper avec ces deux mots sur un petit air de reggaeton. Je vous l’avais dit non ? On est régulièrement à flanc de colline sous le pic du soleil…

Nous renvoyons l’ascenseur à Jorge et lui apprenons « horse shit » et « cow shit » et pour l’embrouiller gentiment on lui apprend « cheese » aussi qui avec son accent en anglais ressemble beaucoup à « shit » finalement. Nous continuons ainsi à apprendre les uns des autres. Tom et Jorge s’entendent à merveille, de cette relation bien masculine et complétement machos que peuvent développer rapidement deux hommes unis par le dur labeur partagé. Moi aussi, je porte, je creuse, je tasse et tout ça mais je reste une fille quoique les jours passant Jorge en vient aussi à m’inclure. Je sens qu’il ne voit plus comme une anomalie ma présence à ses côtés lorsqu’il lance « no es nada para un gallena fina » ou un truc comme ça, qui veut dire qu’on est fort mais surtout l’expression est passée au féminin juste pour moi. 


Les après-midi sont libres. Nous nous baladons au village du coin, à une vingtaine de minutes de marche à travers de magnifiques cascades. Nous nous posons dans le bar, dégustons un "batido" (smoothie) et surfons sur le net pour préparer la suite de nos voyages respectifs. Workaway tourne à plein régime sur nos appareils mais il n’est pas si simple d’obtenir des réponses positives finalement.

Fort de notre nouvelle connaissance des environs, nous décidons un jour de revenir en faisant un détour par le parc du Chirripo. 



Globalement la trajectoire se tient et Tom se base sur les dires d’un chico rencontré sur la route à qui on a demandé si on pouvait faire le tour « par l’autre côté ». Ana et Elissa nous accompagnent dans l’aventure, elles sont là depuis plus longtemps que nous, une ou deux semaines au moins. Ana est allemande, la peau bronzée par le soleil et une allure cool et zen. Elissa est américaine, en reconversion dans l’agriculture et comme nous a soif d’apprendre, son mari la rejoindra plus tard, ils vont à un mariage au Costa Rica. Elle a fait un tour par le Panama dans une autre ferme où elle a beaucoup appris. Alors que nous nous baladons le long du détour, nous échangeons nos impressions de la ferme. Nous sommes tous d’accord que ça pourrait être mieux organisé. Les volontaires « filles » à la ferme n’ont pas de projets et que peu de choses à faire comme du rangement ou du ménage.

L’apprentissage n’est pas au top et pourtant il semble que la ferme recèle d’opportunités car il y a tant à faire et à améliorer que c’est visible même pour des nouveaux comme nous au bout de quelques jours. Nous, avec Jorge, on travaille dur et parfois Tom aimerait bien alterner avec des activités un peu moins physiques ou simplement autre chose pour apprendre du nouveau. Finalement on trouve un chemin, c’est l’entrée du parc. C’est écrit qu’il faut des tickets. Bon mais nous on ne veut pas faire l’ascension du mont, juste passer et ressortir de l’autre côté de la vallée. On y va. 



Une vingtaine de minutes plus tard à s’enfoncer dans la forêt et à grimper on se demande si on ne devrait pas faire demi-tour quand finalement au détour d’un virage nous trouvons un chemin qui part dans la bonne direction et chose encore plus rare, il y a un panneau qui nous confirme que notre ferme est bien par là. Ca nous redonne de l’énergie. On commençait à se dire qu’on allait devoir se taper le retour dans le noir et nous n’avons plus d’eau et pas de lampe de poche. Après un sentier descendant caillouteux et plein de feuilles mortes qu’Ana négocie en sandales sans problème et sans se casse la cheville ( !), nous remontons doucement et émergeons de la jungle sur la crête d’une colline. La vue est à couper le souffle. C’est la golden hour, le soleil émet déjà sa douce lumière dorée qui annonce la fin de la journée, nous dominons la vallée toute verte sur laquelle s’étale bosquets, pâturages et prés où paissent quelques vaches. Ici ou là on voit des habitations nichées dans la nature. L’humidité de la forêt épaisse n’est plus là et c’est un grand air vivifiant et une légère brise qui nous accompagnent alors que nous cheminons sur un chemin bordé de jolis arbres dont certains en fleurs et d’autres lourds de fruits. Il y a un petit air de Pyrénées, en fait c’est l’effet de la campagne montagneuse qui fait ça. Nous sourions tous bêtement, heureux de se trouver dans cette nature si belle et accueillante. Les inquiétudes d’il y a une vingtaine de minutes oubliées. Arrivés à la ferme, nous dînons tous ensemble. C’était une bonne journée. 


Après une autre matinée de dure labeur, nous rentrons un peu plus tôt pour faire nos affaires et nous doucher. Gentilment Nurieth nous propose de nous déposer à l’arrêt de bus, nous économisant ainsi 20-30min de marche avec nos petits sacs sous le cagnard. Nous commençons à peine à la connaître. Nurieth est une femme forte à mon sens et entière.

Nous sommes chez elle et nous faisons les choses à sa façon. Cela ne plaît pas à tout le monde et nous-mêmes ne comprenons pas toujours sa façon de s’organiser et gérer ce petit monde qu’est la finca et sa population. Avec de la curiosité et quelques questions, Nurieth n’hésite pas à expliquer et même enseigner et elle me dirige notamment vers ses cours. Je crois qu’elle est bien typiquement costaricaine, vous savez, comme je vous ai raconté plus tôt, un mélange de chaleur et de rires et de mine renfrognée impérieuse, voir presqu’intimidante parfois. Nous sommes chez elle pour bosser et apprendre ce qu’on peut alors on s’adapte.

Quelques heures plus tard, nous sommes sur la route pour Manuel Antonio. En théorie ce n’est vraiment pas loin de San Isidro del General mais notre bus s’arrête à toutes les plages on dirait. Ce serait une visite sympa si ce n’était l’envie de pisser qui me tenaille depuis des heures et que les vibration du bus sur les chemins caillouteux aux abords des dites plages ne rendaient pas la chose tout à fait intenable. Nous avons le temps de remarquer diverses ambiances et surtout un changement de décors drastique.

Sur les côtes, le tourisme est roi et a envahi les lieux.

Les pancartes sont en anglais, les bars légions, les boutiques multiples et les hostels se succèdent aux hôtels. Il se dégage un sentiment général de vacances relaxes et sans soucis et également sans questions posées. On voit peu d’habitations finalement ou de commerces « normaux ». Nous arrivons à Quepos. Une petite ville où se mélangent le tourisme et la vie quotidienne. Nous débarquons et embarquons dans le bus local et là nous découvrons une succession ininterrompue de resorts, d’hôtels et gros restaurants à l’américaine. Nous nous arrêtons au milieu de cette longue pente vers la plage pour trouver notre auberge. Après avoir déposé nos sacs il fait déjà nuit, elle tombe tôt ici, nous partons en quête d’un dîner. Après un apéro très rigolo sur la plage, nous entrons dans le premier restau venu en face de nous, façon saloon. C’est une expérience tout à fait étrange. Nous sommes transportés aux Etats-Unis, celui des films ou des séries d’il y a une dizaine d’années. Un saloon, un groupe live de rock bien américain, de gros américains tout blanc partout et des serveurs complètements bilingues qui ne font même pas semblants de commencer en espagnol et t’expliquent d’un air blasé le happy hour de la maison. La nourriture est franchement décevante mais nous rentrons le ventre plein d’autres choses que du riz et des frigoles (haricots rouges) qui ont constitué l’essentiel de notre alimentation matin, midi et soir à la ferme.

Le lendemain nous décidons d’aller au parc Manuel Antonio. Nous sommes ravis, nous nous sommes levés tôt malgré le coucher un peu (22h max !) tardif de la veille. Le rythme de la ferme nous suit. C’est parti. Arrivés au guichet des tickets, nous n’avons pas assez d’espèces. C’est tellement cher ! Et malgré le signe « visa », on ne peut pas payer en carte. Nous repartons en arrière. Tom pas content et moi désemparée. Le soleil monte déjà et il commence à faire chaud. Finalement, Tom pique un sprint et grimpe la côte pentue jusqu’à la borne de retrait. Seconde tentative et cette fois c’est la bonne. Impossible de rater l’entrée du parc, les touristes y convergent comme les affluents d’un fleuve et s’engouffrent seuls ou accompagnés de guides à l’intérieur. Pas de guide pour nous, on a déjà assez raqué comme ça. Tom a son objectif zoom et moi de petites jumelles que j’ai ramenées de France, miennes depuis ma toute première colonie de vacances. Allez on entre et on se retrouve sur une large route caillouteuse bordée d’arbres et envahie d’essaims de touristes aggripés à un guide, s’agglutinant autour de leurs longue-vue. Nous passons à proximité, écoutons et pointons nos appareils dans la même direction. Un chemin vers la gauche, le panneau indique cascade, on y va. Le chemin est plus étroit, cimenté carrément. Nous cheminons à travers des groupes éparses et plus petits de touristes sans guide. Il n’y a probablement rien à voir par ici. La cascade est à sec mais nous rencontrons un couple de français, nous sympathisons et ferons une bonne partie de la visite ensemble. Au retour un guide montre quelque chose, on s’arrête, on vise, c’est un paresseux. La visite continue et on verra d’autres paresseux, des singes de plusieurs types, des oiseaux, des iguanes, des mapachos et des pizzotes (sortes de blaireaux). Il y a pas mal d’animaux mais le plus présent de tous est bien le touriste qui grouille sur les petits chemins de pierre bien bordés du parc, qui s’étale sur les superbes plages qui s’étendent de chaque côté d’une petite presqu’île. C’est un peu disneyland avec ses animaux vedettes et ses chemins artificiels, ses touristes émerveillés et un sens aigu du business qui imprègne tout l’endroit. 



Nous quittons Manuel Antonio, un peu reposés mais pas franchement émerveillés par ce petit bout d’Etats-Unis. A San Isidro dans les hauteurs, on respire déjà mieux, il fait plus frais et l’ambiance est relaxante.

Le retour à la ferme se fera à pied et dans le noir, n’ayant pas réussi à joindre Nurieth mais après ces 40 minutes de marche, nous avons le plaisir de découvrir de nombreux volontaires devant un bon repas. Nous sommes de retour au pays du frijoles et du riz. Je reste surprise de la créativité des arrangements pour les repas qui permettent de manger principalement ces deux ingrédients sans « trop » se lasser. Ils sont sautés, cuits dans l’eau, en soupe, mélangés ou non, accompagnés de salade ou d’œufs ou de viande ou de poisson ou de pâtes. On finit malgré tout par s’en lasser bien sûr avec le temps mais celui-ci est incroyablement long grâce à la créativité des cuisinières, Nurieth et Luzmarie principalement.

 

 

C’est parti pour une autre semaine à la ferme !


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