6h du matin. Nous nous réveillons doucement, un peu en retard, décalés du weekend et de la rencontre avec les nouveaux volontaires qui ne sont pas encore dans le rythme. Pas de pâture ce matin, les chèvres ont investi leurs nouveaux quartiers alors nous n’avons plus besoin de les nourrir. Il y a bien deux chèvres qui se sont échappées pour retourner sur la ferme. Elles savent très bien où est le grain.  


Le projet de cette semaine c’est de creuser un canal pour dévier l’eau qui se déverse du haut de la colline depuis les prés des voisins.

C’est important pour la certification bio car l’eau du voisin, pas bio par défaut, ne doit pas contaminer les prés de la ferme où seront les cultures. Nous partons sur le flan de la colline, 3 filles, Tom et Jorge. A la ferme, il y a un couple américain qui est arrivé, des étudiants en agriculture qui ont l’air de bien maîtriser leur sujet. Ils ont convaincu Allan de tenter un nouveau projet, celui de faire du biochar. Je vous laisse aller voir la vidéo (ici) pour découvrir ce que c’est ! En tout cas, c’est plus tranquille que de creuser un canal en pente ça je peux déjà vous l’assurer. Tom crée le canal à la bâche en montant, nous les filles on déblaie et on creuse et Jorge consolide et termine.

Nous avançons doucement le long de la pente. Les filles restées à la ferme refont le grillage du poulailler. Le grillage est là plutôt pour empêcher les prédateurs d’arriver aux poules qu’elles de sortir car elles se faufilent partout. On dirait que Nurieth a pris les choses en main pour occuper tout ce petit monde.


Un après-midi, Nurieth nous embarque tous en voiture (sauf Valery qui reste à la ferme pour s’occuper des enfants et parce que la voiture est pleine). Direction les champs de frigoles (haricots rouges). On en mange tous les jours, aux trois repas, alors c’est n’est pas sans une petite excitation que nous allons enfin découvrir comment ils se cultivent.

Vous imaginez un champs ? Bon. Vous voyez des haricots comment ça pousse ? Ca grimpe et c’est fin. En France on les met sur tuteur par ex. En gros, dans l’imagination c’est un grand espace plat avec des rangées de haricots qu’on cueille ensuite. Bon bah maintenant oubliez tout ça et visualiser des « petites » collines (quand on les a montées et descendues des dizaines de fois, le mot « petit » perd de son sens) envahies de broussaille, en pente bien verticale (qu’on dévale facile sur les fesses si on perd l’équilibre). Vous y êtes ? Ca c’est le champs de frigoles, il y a 3 collines que nous découvrons les unes après les autres.

Deux semaines plus tôt, les autres volontaires sont venus arracher les plants et les ont laissé sur place. Maintenant qu’ils sont séchés par le soleil, à nous d’aller les récupérer et de les déposer en bas de la colline afin ensuite de les passer au battage (à la main et au bambou). En route mauvaise troupe !


On finit par s’organiser en chaîne pour limiter nos déplacements, ceux d’en haut collectent et puis on se passe les bottes de main en main jusqu’en bas. Nurieth nous voyant l’interdit, il faut ramener chacun notre botte en bas pour éviter de perdre des haricots. Ceux-ci se détachent facilement de la plante séchée dont les écosses sont parfois déjà ouvertes. Nous maugréons. Ca ne change pas grand-chose aux pertes. Au final, voyant notre récidive, elle monte et commence à faire les bouquets qu’elle nous donne à descendre. Ils sont tellement énormes à transporter qu’on en perd autant mais bon.



Les bottes sont ensuite regroupées autour d’une bâche et Jorge avec deux bâtons de bambou bien solides bat celles-ci pour faire tomber les haricots. Il déploie une force impressionnante et surtout une grande endurance. Monter et redescendre en glissant, lourdement chargé de bottes de frigoles sous le soleil écrasant et enveloppé par l’humidité de la jungle est épuisant. A la fin des 3 collines, on n’en peut plus et le sourire a même parfois disparu. Du coup, Nurieth décide de terminer un peu plus tôt. Le battage sera terminé demain. Les grains déjà récupérés sont collectés dans des grands sacs.

Tom, Jorge et Nivesse y retourneront pour terminer le travail. Nivesse est une volontaire italienne qui malgré son âge plus avancé que les autres est d’une énergie folle. A tel point qu’une volontaire américaine d’à peine vingt ans me le fera remarquer d’un ton admiratif dans la voix qu’alors que toutes deux étions au bout de nos forces déjà, Nivesse gambadait en haut de la colline incessamment penchée, ramassant le frigole et le descendant vers la bâche. Tom s’essaiera au battage et finira par exploser ses bâtons de battage d’acharnement. La récolte : 350-400 kg de frigoles. 



Cette semaine pour nous c’est la Saint-Valentin alors Tom annonce en grande pompe à Nurieth que le lendemain soir nous ne dînerons pas à la ferme, sourire entendu à l’appui. Ca fait bien rire Nurieth.

Nous allons au restaurant gourmet du coin (40min de marche) car il y en a un, le Descanso de San Girardo de Rivas. Le restaurant a un petit potager devant bien entretenu et luxuriant. Basilic, piment et belles salades se côtoient très joliment. La petite surface est presque la même que celle du potager de Cielo Verde et est plus productive. Le jeune qui tient le restaurant fait une cuisine raffinée et originale avec des produits du coin, de son potager et quelques touches exotiques.

C’est un régal. Tom commence avec la salade Chirippo, un carpaccio de betteraves crues aux jolies motifs de rouge pourpre éclaté de blancheur alterné avec de fines tranches de mangue, saupoudré de menthe et saucé au jus d’orange. Suprême. J’ai pris un velouté de concombre. Il est à l’ail, au yaourt frais et à l’huile d’olive (la touche exotique ici !), un classique de fraîcheur bienvenu après la chaleur de la journée. En détail exquis on y trouve de petites rondelles fines de radis bien craquantes qui donnent au plat une tonalité sophistiquée en plus d’une jolie touche de couleur rose pétante au milieu du velours blanchâtre.

Nous discutons du site internet du projet de voyage et déterminons pour la première fois la forme concrète de celui-ci sur mon petit carnet en coin de table. Le logo de l’asso naîtra aussi ce là entre deux verres de vin accompagnés de délicieux mets. C’est une chouette soirée. Nous dégustons le présent en papotant d’un joli futur qui nous enthousiasme. C’est un bon moment et un excellent souvenir.



Dans la semaine, un après-midi libre, nous nous joignons à d’autres volontaires pour aller à la rivière du coin. La région ne manque pas d’eau, il y a de très beaux cours d’eau partout dont le Chirippo. A 5 minutes de la ferme, en contrebas, il y a un pont et des gros rochers qui permettent l’accès à l’eau. Les jeunes du coin y sont, les filles sur un rocher papottent et lancent des œillades aux jeunes garçons qui parlent fort et se jettent à l’eau. L’un d’eux en courant sur un rocher se tord la cheville, vu l’angle sa cheville va bien gonfler et c’est sûrement une entorse. Il claudique un peu puis finalement s’assoit, calmé. Sa cheville gonfle. De notre côté, nous entrons dans l’eau froide et rafraichissante, elle est transparente, superbe. Le courant est bien présent mais pas trop fort pour nager contre. Je me régale mais la nuit tombe vite alors nous devons rentrer.


Un autre de ces après-midis, nous nous retrouvons embarqués dans des discussions de politique mondiale avec les américains et les canadiens présents. C’est super intéressant. Personne n’a voté pour Trump ici et avec un optimisme tout américain, certains se disent que cette énorme bourde a au moins le mérite de faire descendre les gens dans la rue et de les mobiliser. Que si ça avait été Clinton, personne ne se serait indigné autant contre le système que nous voulons, tous ici présents, changer. Quand nous abordons les élections françaises, le seul candidat connu est Marine Lepen. C’est notre Trump, notre épouvantail. Nous nous faisons un devoir de présenter notre Bernie Sanders et ses idées progressistes bien sûr. C’est une autre bonne après-midi qui se déroule à la ferme alors que le soleil décline.


L’ambiance entre les volontaires est bonne mais celle avec Nurieth semble parfois se dégrader ou passer à travers quelques nuages.

Il faut dire que si l’organisation cette semaine est meilleure que la précédente, il y a plus de monde et elle laisse toujours à désirer, et puis la communication, en plus de la barrière de la langue (américains et canadiens ici ne maîtrisent pas ou peu l’espagnol), est difficile.

On voudrait un plan clair sur ce que Nurieth cherche à accomplir sur la ferme, pour l’aider à démarrer les multiples projets nécessaires pour y arriver. Il y a une idée, celle d’être une ferme autonome et bio mais pas de chemin concret. Du coup, les volontaires découvrent chaque jour des instructions parfois contradictoires et y sont assignés sans explication ou sans que cela s’inscrive dans un tout compréhensible de développement de la ferme. C’est frustrant pour certains voir difficile à supporter pour d’autres car les ordres ne sont pas très bien reçus parmi les volontaires qui semblent, en général, être plutôt des esprits libres, parfois créatifs aussi, en recherche d’eux-même ou de sens, avec une grande soif d’apprendre.

Pas un profil très prompt à obéir à un ordre sans explication mais pas de manque de volonté de travailler non plus.



Nous refaisons les bacs du potager en pierre. Ceux-ci sont en bois alors il faut les remplacer tout le temps car ils pourrissent avec l’humidité qui règne ici, même en saison sèche. Tom , Nurieth et moi faisons le liant à base de ciment, d’argile récupéré au fond de la ferme et filtré et d’eau. Un clash éclate entre Valery, volontaire québécoise, et Nurieth. Valery refuse l’ordre de nettoyer l’espace des chiens. Ce n’est pas tant l’ordre qui la chiffonne mais c’est balader d’une activité à l’autre sans jamais rien terminé au grès des ordres de Nurieth. Nurieth ne comprend pas ça mais a surtout l’impression que Valery la prend de haut et ne veut pas « s’abaisser » à cette tâche. Ca ne lui plaît pas du tout. Valery récupère ses affaires et s’en va. L’ambiance tombe de plusieurs degrés malgré la chaleur de la journée ensoleillée. Clairement le facteur humain a la capacité à mettre à mal toute une entreprise. Il faut y faire attention et d’autant plus lorsque l’on réunit des personnes d’horizons et de cultures différentes car la communication est d’autant plus compliquée et essentielle.


La veille, Jorge est parti. C’est pour ça qu’aujourd’hui nous travaillons tous sur la ferme sur les bacs du potager car Nurieth ne peut pas gérer deux équipes séparées et semble avoir besoin d’exercer un contrôle rapproché sur les uns et les autres. Le canal sur la colline est mis en hibernation. Jorge a emmené ses chiens et ses maigres possessions, il est parti avec sa compagne rejoindre sa maison à quelques dizaines de kilomètres de là. On ne sait pas s’il reviendra bosser avec sa sœur. Le manque de moyen ou plutôt l’allocation de ceux existant ainsi que le manque de volonté affiché de faire avancer la ferme semblaient lui peser après deux années de bons et loyaux services, sans avoir de prise sur les décisions. Le facteur humain encore une fois.

Nous préparons nos affaires également. Plutôt que de faire un aller-retour coûteux pour le weekend et rester seulement lundi pour terminer nos deux semaines , nous partons aujourd’hui après le travail. Nurieth nous amène au bus. Nous l’aimons bien Nurieth, elle a son franc parler et sûrement ses raisons pour tout ça. Peut-être la ferme n’est pas sa priorité, ses filles, sa vie de famille, qui sait quoi d’autre pourrait l’être. Nous aurions pu rester trois semaines avec plaisir mais avec le départ de Jorge, nous voyons mal comment la gestion des volontaires va s’organiser alors nous préférons commencer à découvrir le pays plutôt.


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Découvrez comment on récolte et on bat les haricots rouges:


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