En route pour Uvita, nous rencontrons Esteban dans le bus. Un grand déguigandé qui parle bien sept langues différentes au moins. Il m’interpellera même en japonais ! Il est dealer et il part Envision. Envision c’est LE festival du Costa Rica apparemment. D’ailleurs Ana et Valery y vont également de façon indépendante pour travailler en volontaires et profiter du festival Envision. Envision c’est ambiance Yoga, méditation, bien-être, permaculture, expression corporelle et c’est aussi gros son électro, grosse beuverie et drogues à gogo avec un ticket d’entrée à 300 US$ et 140 US$ pour les locaux. C’est très cher pour tout le monde.

A l’intérieur du festival, Esteban nous raconte, c’est un peu la décadence totale alors il se fait du bon business, même juste en ramassant ce que les gens font tomber c’est déjà un petit pactole.


Envision on dirait un mix étrange où les gens ont un visage le jour et un autre la nuit. Du coup à Uvita c’est plein à craquer dans les hostels parce que le festival commence dans quelques jours alors ça grouille de bobos avec des T-shirts aux motifs éléphants thaïs ou mandala qui roulent en gros SUV, de jeunes à dread avec des grosses montres chères, bref tout un monde de signaux ostensiblement contradictoires. Le bien-être, la méditation, le yoga, la nature c’est à la mode alors tout le monde s’y met et ça crée une superficialité tout à fait étrange entre l’affichage et le mode de vie. Vous me comprenez ? Je n’arrive pas à mettre le doit dessus mais il y a un truc faux, un truc qui ne s’accorde pas avec mes valeurs dans leur façon d’être. Pourtant chacun s’exprime comme il veut et s’habille à sa guise non ? Parce qu’ils sont riches ils ne devraient porter que des costards ? Je ne crois pas. Pourtant quelque chose cloche. Je crois que c’est le détournement de tout ce monde du bien-être qui invite normalement à l’introspection sereine, au partage dépouillé et simple afin de murir et élever sa conscience dans une sorte de sobriété modeste et joyeuse.

Bref c’est blindé à Uvita alors on finit par suivre le conseil d’Esteban et on se retrouve dans la même auberge que lui, un endroit miteux d’apparence et tout à fait sobre pour le coup, tenu par une vieille dame assez sympathique.


Le lendemain nous visitons l’attraction du coin, Bahia Ballena, une plage en forme de queue de baleine. On arrive à l’entrée du parc et on nous informe que c’est 6 dollars. Pour visiter une plage c’est un peu fort. A l’épicerie du coin, Tom demande s’il n’existe pas un moyen d’entrer gratis. Bien sûr, c’est par là. Après 30 minutes de marche sous le cagnard, nous arrivons sur la plage et marchons vers le banc de sable. C’est joli mais rien d’extra.

On ressort par l’entrée principale alors que le garde s’est levé pour aller aux toilettes. Pas vu, pas pris.


 

Pour repartir le lendemain aucun habitant du coin n’arrive à nous renseigner clairement sur les horaires de bus. C’est bizarre, d’habitude on trouve toujours quelqu’un qui connaît les horaires par cœur. On se pointe à l’arrêt de bus du coup et on attend. Un couple de français du sud attend aussi. Ils n’en savent pas beaucoup plus que nous mais on doit prendre le bus de toutes façons alors autant être à l’arrêt de bus. Pura Vida comme il se dit par ici.

La discussion coule facile. Un instant je me dis que si « En attendant Godot » avait était placé sur un chemin au Costa Rica, l’ensemble de la pièce aurait été beaucoup moins lugubre avec le soleil, la chaleur et la vie qui règne partout. Nous n’avons pas le même style de voyage, valises à roulettes versus sac à dos de rando.

Au final tous les bus arrivent à peu près en même temps. Eux remontent et nous c’est direction le sud est du Costa Rica.

On pense d’abord à s’arrêter à Piedras Blancas, on a vu sur internet qu’on pouvait y faire du rafting, ça a l’air sympa. Toutefois, plus nous progressons vers le sud, plus le paysage s’assèche, les cours d’eau que nous traversons sont presqu’à sec. Ici la saison sèche se ressent beaucoup plus que dans le centre on dirait. En bus, le paysage défile vite et c’est comme un bout de Far West qui s’étale sous nos yeux. Arbustes et arbres qui survivent, herbes jaunies, chevaux broutant ici ou là la végétation rêche et des habitations de tôle et de bois, parfois avec quelques murs décrépis qui survivent autour d’une épicerie couverte de pubs. Parfois, une ferreteria ou un vendeur de pierre surgissent devant nos yeux. Finalement, on s’arrêtera en plein milieu de ces paysages dans un gros hub citadin balayé par la poussière et sorti de nulle part. Rio Claro. On récupère un collectivo (taxi partagé) pour Golfito.

A côté de qu’on vient de traverser, Golfito c’est la côte d’azur. De « vraies » baraques en pierre, travaillées, pas forcément belles par la sur-utilisation de colonnes sculptées mais il y a des sous en tous cas ici. Le temps d’une bière bien fraîche et hop nous voilà sur un bateau pour Puerto Jimenez. Le premier du voyage, nous fendons les flot entourés de gros bouts de jungle qui plonge dans l’eau. Ca fait du bien de retrouver l’air de la mer après la chaleur étouffante du bus.


Arrivés à Puerto Jimenez, nous sommes fatigués mais nous cherchons où dormir. Tom trouve un endroit mais c’est cher, j’en trouve un moins cher mais c’est pas terrible. On hésite, on s’engueule sur la philosophie du voyage et le budget qui va avec. On arrive à un compromis. On prend la chambre pas chère (20 dollars) et le lendemain (90 dollars gloups) on se fera une nuit dans la chambre chère, il faut savoir se faire plaisir de temps en temps. Puerto Jimenez est un endroit sympathique à mon avis, qui donne un peu l’impression d’être au bout du monde. Beaucoup de locaux malgré le tourisme. Il faut dire que le touriste ici vient faire des treks dans la jungle donc le type de touriste est différent quand même.

Le lendemain, on déménage vers la jolie chambre. Air conditionné, cuisine incluse, belle salle de bain, propreté impeccable, piscine. C’est sûr que comparé à la veille, entre les araignées, les blattes et l’humidité douteuse de la chambre, il n’y a pas photo.

En plus, il y a des kayaks. On se retrouve sur un kayak bi-place à explorer l’eau alentour. Il y a de la mangrove au bord, des eaux profondes au milieu. C’est aussi beau qu’inquiétant. J’imagine les crocos qui peuplent la mangrove et les requins qui ripaillent dans les eaux sombres. Malgré lui Tom est aussi gagné par mes inquiétudes et alors que je me relaxe assez pour continuer à avancer vers l’estuaire, c’est lui qui n’est pas plus si rassuré que ça. Ca fait quand même une jolie balade et on admire une palanquée d’oiseaux du coin, notamment de beaux pélicans qui font du rase-motte sur l’eau et des petits pipers qui courent sur le sable au rythme des vagues.

On part ensuite à la recherche d’un guide pour le trek du Corvocado. C’est cher ! Près de 100€ par personne par jour ! Mais le débat est rapide cette fois, il paraît que ce parc est extraordinaire, c’est la pleine jungle, ça vaut le coup. On fera des chambres pas chères ensuite pour rattraper un poil le coup. On se balade à travers les rues alors que le soleil se couche et nous trouvons un bureau de tours qui nous plaît bien. On part là-dessus. Rendez-vous pris demain matin devant la boulangerie à 5h30 du matin.

Nous croisons un petit aéroport au retour. C’est une piste en fait. Apparemment, ce genre de pistes est courant au Costa Rica. Un pays pourtant très vert en termes d’énergie utilisée et de terres protégées mais qui est paradoxalement plein de grosses voitures et de petits avions car les routes sont mauvaises, de gens qui jettent leurs déchets partout et où le recyclage n’est pas développé. C’est un peu comme si le gouvernement avait décidé d’une politique verte et l’appliquait mais que les gens eux n’avaient pas suivi dans leur mentalité.

Nous profitons de notre nuit de confort et préparons nos affaires pour le trek. Le reste partira en voiture en contournant le parc jusqu’à Drake Bay, c’est aussi pour ça que c’est cher.

Pendant que deux oiseaux se disputent un poisson, nous embarquons pêle-mêle guides et touristes dans un mini bus. 2 à 3 touristes par guide. C’est parti pour 1h de route qui démarre dans une campagne relativement accueillante pour continuer au milieu de la jungle sur des chemins de terre entrecoupés de grosses flaques jusqu’à une plage. Nous nous arrêtons là, tout le monde descend.

Notre guide c’est Thomas. Drôle de coïncidence. Lui est tico (originaire de Costa Rica) à avec des origines indigènes. C’est un ancien chasseur. Il est devenu guide quand la chasse a été interdite. C’est un excellent pisteur et il nous impressionne car il repère des animaux tout petit ou lointain d’un seul coup d’œil ! Sur son dos, un sac, une machette et un parapluie, incongru en pleine jungle. Il est équipé pour tout.

La douzaine de kilomètres du premier jour passe vite, nous marchons dans la jungle en longeant la mer, avec quelques passages sur la plage. Marcher dans le sable, voilà qui est bien difficile, surtout quand on y est depuis plusieurs déjà et sous le soleil implacable. Le rythme est correct mais on ne traîne pas, il faut arriver avant la nuit et à l’heure du dîner aussi. Nous croisons un puma qui se repose, des oiseaux en quantité, des grenouilles aux couleurs fluorescentes, des papillons… Et notre guide nous montre aussi des plantes et nous explique comment fonctionne la forêt. Une plante utilisée par les tribus indigènes pour les peintures rituelles sur la peau. Hop, nous voilà tatoués pour une dizaine de jours. Tom avec une jolie trace de puma et moi, avec une croix bien chrétienne, c’est pour me protéger je crois. Il m’a bien demandé si je croyais en Dieu, ce à quoi gênée, je lui ai dis que j’étais boudhiste (n’importe quoi ! mais plus vrai que chrétienne c’est sûr) mais bon il s’était déjà lancée dans la croix alors tant pis, avec mon T-shirt tête de mort sur fond noir, ça me donnera un look un peu gothique – j’essaye de cacher les traces de cutter à mon poignet sous un tatouage bleu avec une croix au bout. Bref.

Rien à voir avec Manuel Antonio en tous cas, ici la jungle tue si on n’est pas attentif. Notre guide Thomas est vraiment sympa en plus d’être une mine de connaissance. On rigole bien. On croise sur le chemin un groupe d’anglaises et leur guide. Elles ont l’air d’en baver. Thomas le guide devient rapidement la coqueluche de ses dames. Plus tard Tom, de Tom & Ariane cette fois, dans un accès de cheesy romantisme et ayant un peu d’avance sur nous, dessine dans le sable un grand cœur avec A+T dedans. Si si. Je rate monumentalement de voir son œuvre par ailleurs, concentrée sur la marche mais Thomas, le guide cette fois, ayant vu ma bourde, prend une photo et me montre l’œuvre de Tom. Suivez bon sang ! Toujours est-il qu’alors que nous faisons une pause, nous sommes rejoins par les anglaises qui gloussent et sourient et sont persuadées que le « T » dans le cœur est celui de Thomas le guide. Nous ne démentons rien et rions tous les trois sous cape. Elles le harcèlent pour savoir qui est le mystérieux « A » et s’il a une copine et tout le tintouin. Tom devient Patrick et moi Michèle temporairement pour les besoins de la farce quand enfin, se profile le refuge.


Il se situe dans une grande clairière taillée dans la jungle. C’est une jolie construction en bois, relevée au-dessus du sol et très ouverte dont le plan me fait penser à un monastère japonais dont les couloirs de bois sans murs relient les différents espaces. C’est comme un îlot perdu au milieu de la forêt vierge relié au monde par une petite piste d’atterrissage (encore une) carrément sommaire, constitué d’un espace de prairie sur terre creusée de profondes ornières créées sans nul doute par les multiples atterrissages du seul et unique pilote assez fou et capable de faire cela. Celui-ci a d’ailleurs l’air un peu barge quand nous le croisons. Nous dormons en dortoir, mangeons en réfectoire et partageons des sanitaires avec tout ce petit monde. C’est comme une colonie de vacances. Le lieu est tout ouvert, presque pas de murs à part autour de quelques petits bâtiments pour les permanents et pour la cuisine. Les dortoirs sont ouverts aux quatre vents, les lits superposés protégés de moustiquaires.

A la tombée de la nuit, ce sont les singes hurleurs qui nous accueillent faisant résonner leurs cris sur plusieurs kilomètres à la ronde. Puis la nuit tombe et chacun dans son lit peut entendre la vie grouiller dans la jungle toute proche. Il y a des hululements en tous genres du aigu au grave, parfois carrément lugubres. On se sent tout petit et fragile dans son lit, séparé de l’enfer des insectes piqueurs par un filet très fin. Petit cocoon d’humains face à la nature magnifique et hostile. 

Réveil à 4h30 pour une balade semi-nocturne et rencontre avec une famille de tapirs. Ils sont tous près, c’est fascinant. On se balade dans les environs pendant la journée à l’affut d’autres animaux et on suit Tom le chasseur à travers la jungle. La veille nous avons rencontré un couple de français au dîner. Elle est devenue prof et lui est toujours dans l’audiovisuel. Les enfants sont grands et ils voyagent pendant leur vacance. Nous discutons de voyages et un peu de la vie. Nous nous retrouvons au détour de la journée sur certains chemins, leur guide est très sympa aussi. Le soir nous nous retrouvons tous, papotons des animaux rencontrés et continuons à échanger sur nos vies et nos projets. J’en garde une impression de chaleur et de bienveillance. Au milieu de la jungle, dans ce « monastère-refuge », on pourrait refaire le monde entre inconnus et tous tomber d’accord je crois car l’humain paraît ici incongru et ça donne envie de se rassembler.


Nous croisons aussi un anglais, super bien équipé, qui se balade avec un guide. Il arrive de Drake Bay, sa femme est restée avec leurs jumeaux de quelques mois là bas. Ils alternent pour les sorties et en font certaines avec les bébés. Impressionnant.

Le dernier jour, nous parcourons la jungle au pas de course dans l’espoir de dégoter un crocodile. Tom et Tom finissent avec de l’eau jusqu’aux genoux dans une rivière. Tom le guide l’assure que c’est bon, pas de danger. Enfin, nous retournons sur la plage où nous attendons pour embarquer dans les petits bateaux qui nous emmèneront à Drake Bay. Le trek est fini. Bon c’était surtout un trek d’une journée, pas mal de marche en rond le lendemain et une petite matinée au final. On aurait pu se contenter de deux jours en rétrospective mais on en a pris plein les yeux et le sentiment d’être au milieu de dizaines de kilomètres de forêts est indescriptible. Arrivés à la plage, Tom le guide et moi on fait une course de bernard l’hermite que j’ai le tic d’appeler Thierry l’hermite. Et alors que le champion de Tom l’emporte haut la main, notre ami anglais vient nous voir pour nous dire de venir un peu plus loin. Une maman alligator et ses petits s’offrent un petit bain de soleil au bord d’une petite marre. Derniers animaux vus avant d’embarquer dans de petits embarcations qui nous emmènent à tout allure vers Drake Bay.


Là, par précaution et vu la taille de l’endroit, nous avons réservé une tente sur plateforme dans une auberge. Après une dernière bière et un premier bon ceviche avec Tom le guide, nous partons pour notre tente. Drake Bay, c’est une rue poussiéreuse, quelques auberges, quelques restaus et des organisateurs d’activité d’aventure. Sur la plage, se balade un cheval tout blanc comme sorti des flots comme une apparition. Tout le monde rigole. Après une journée de repos, nous repartons en bateau pour d’autres rivages !